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Le notaire et la famille - 4 Juin 2020

Le Bail à nourriture
Un outil pas si désuet !


Le Bail à nourriture - Un outil pas si désuet !

Avec l'allongement de l'espérance de vie, nous faisons face à un vieillissement de la population de plus en plus important. Le bail à nourriture peut s'avérer une formule intéressante pour une personne âgée désireuse de se protéger pour ses vieux jours.

En 2050, un Français sur trois aura plus de 60 ans. Les besoins des personnes âgées et les dépenses liées à la dépendance vont inévitablement augmenter. Aujourd'hui, près de 4,3 millions de personnes aident régulièrement un de leurs aînés et parmi elles, 2,8 millions apportent une aide à la vie quotidienne. Compte tenu de ces enjeux, le bail à nourriture constitue un moyen d'améliorer le cadre de vie, le confort et la situation financière d'une personne dépendante. S'il peut paraître désuet, ce contrat méconnu du grand public et des professionnels a tout intérêt à se développer. Très intéressant tant pour le bailleur que pour le preneur, il mérite cependant d'être manié avec précaution.

Que prévoit ce contrat ?

Le bail à nourriture correspond à une convention par laquelle un individu s'oblige à pourvoir aux besoins essentiels d'une autre personne sa vie durant (nourrir, soigner, loger…) moyennant le paiement d'une contrepartie monétaire (capital, redevance annuelle, abandon de créance) ou résultant de l'aliénation d'un immeuble.
Un contrat innommé. Aucun texte dans le Code civil ne définit le bail à nourriture. Cela résulte d'une pratique juridique ancienne utilisée à l'origine dans nos campagnes. Il ne s'apparente donc pas vraiment à un bail mais plutôt à un service. Le plus souvent, le débiteur prend en pension le bénéficiaire et assure ainsi son entretien, mais la cohabitation n'est pas nécessaire au contrat.
Signé à titre onéreux. Pour le preneur, il s'agit d'une obligation continue dans le temps et incessible, indéterminée quant à sa valeur. Cette charge de soins crée une onérosité à due concurrence du montant de la charge. Le bail à nourriture est donc exclusif de tout caractère gratuit, le preneur ayant une obligation d'assurer en nature le logement et l'entretien du bailleur.
Contrat intuitu personae. Pour pallier une disparition du preneur ou anticiper une éventuelle mésentente, il est conseillé de prévoir la possibilité de substituer aux prestations en nature le versement d'une rente viagère compensatrice. Ce contrat peut contenir autant de prestations pécuniaires (fourniture du logement, nourriture...) que non pécuniaires (soins, entretien...).
Contrat aléatoire. Doublement aléatoire, en raison de la date inconnue du décès du bailleur, et de l'importance des prestations fournies qui pourront varier en fonction de l'état de santé du bailleur. L'aléa lié à la durée de vie du créancier est une condition de validité. Ainsi, l'état de santé ou l'âge avancé du créancier ont pu être considérés comme rédhibitoires. Si la convention est dépourvue d'aléas sérieux ou qu'elle masque une donation déguisée, elle peut être annulée.
Sanction en cas d'inexécution. Le bail à nourriture est assorti d'une clause résolutoire de plein droit à défaut d'exécution des prestations convenues.

Comment peut-il s'exercer ?

Le plus fréquemment, cela concerne un enfant qui s'occupe d'un de ses parents âgé et invalide (mais non dans le besoin) car il est le plus proche géographiquement par rapport à sa fratrie. Cela dépasse le devoir moral et l'obligation de fournir des aliments (art 205 Code civil). En compensation des efforts de son enfant, le parent va vouloir le gratifier par des cadeaux, sommes d'argent, etc. L'enfant pensant être récompensé à juste titre n'imagine pas que ces cadeaux puissent être remis en cause par ses frères et sœurs à la succession de ses parents. Ils risquent d'être requalifiés en donation et rapportés à la succession. Pour éviter cette situation, mieux vaut conclure un bail à nourriture.
Du côté du bailleur. Cela lui permet de lutter contre l'isolement, n'ayant plus de famille ou de parents proches, le bailleur a pu tisser des liens affectifs avec un voisin, un ami qui va le prendre en charge. C'est aussi un moyen de transmettre partie de son patrimoine en exonération de droits, permettant d'éviter une taxation à 60 % par exemple si le débiteur est un ami ou voisin.
Du côté du preneur. Il connaît à l'avance sa contrepartie dès la perception soit de la somme remise, soit de la propriété acquise.

Comment le rédiger ?

La difficulté porte sur la fixation du «prix» pour la charge de soins. Il est important qu'elle soit identifiée et détaillée, et qu'elle représente une contrepartie sérieuse en rapport avec la valeur du bien. Le débiteur doit faire en sorte de se garder des preuves que ses prestations ont bien été exécutées. Pour les frais médicaux et de santé, il vaut mieux prévoir que le débirentier n'aura à sa charge que la partie des frais non remboursés au bailleur par la Sécurité sociale et la mutuelle.

Quels sont les risques du bail à nourriture ?

Il ne faudrait pas que le bail à nourriture soit le support d'une donation déguisée, qui pourrait être alors attaqué soit par les héritiers (A) soit par l'administration fiscale (B) :
A. Risque de requalification du contrat en libéralité. Si le débirentier a la qualité de successible en ligne directe au jour de l'aliénation, l'opération risque d'entrer dans le champ d'application de l'article 918 du Code civil. Cela présume que l'aliénation constitue une libéralité faite hors part successorale. Cette présomption pourra être écartée si les successibles ont donné leur consentement à l'acte de vente consentie au profit de l'un d'eux. Enfin, pour retenir l'existence d'une donation, il faudra prouver l'intention libérale.
B. Risque fiscal. Il existe un autre risque, celui de la présomption de propriété de l'article 751 du Code général des impôts dès lors que le bailleur conserve l'usufruit du bien aliéné et que l'opération a été faite au profit d'un successible. Si l'administration fiscale arrive à prouver que l'acte est fictif car il recouvre une donation, l'impôt de mutation à titre gratuit sera exigible avec majoration et intérêt de retard. Pour éviter ce risque de requalification, il faut être vigilant quant à la situation du bailleur (âge avancé, maladie, état de fortune), du débiteur (lien de parenté, héritier présomptif…) et aux modalités de la transmission (réserve d'usufruit, inexécution de la charge de soins…).
Ainsi au regard de l'augmentation croissante des personnes âgées dépendantes et de l'espérance de vie, le bail à nourriture peut être considéré comme une sorte d'alternative à l'aide à domicile tout en étant un outil de transmission du patrimoine.

Maître Nathalie FESTAL
Notaire à Bordeaux au sein de la SCP JAULIN et BOUZONIE

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