Picsou ou Piketty ?

Dans son nouvel ouvrage "Capital et idéologie" Thomas Piketty tente de répondre à la question "peut-on réduire les inégalités ?"
En effet, ceux qui accumulent les fortunes et luttent pour leur conservation tel le fameux Picsou de Walt Disney influent à la fois négativement sur la croissance et aboutissent à la montée des inégalités. De l'analyse des faits historiques il déduit alors des mesures qui ne peuvent que déplaire aux détenteurs actuels des grosses fortunes. En 2013, Thomas Piketty avait publié "Le Capital au XXIe siècle" vendu à 2,5 millions d'exemplaires à travers le monde, un record absolu pour un livre d'économie.
Suivant Thomas Piketty, l'oncle Picsou n'a pas toujours été en odeur de sainteté chez les Américains. C'est ainsi que pendant un demi-siècle, de 1931 avec l'élection de Roosevelt, jusqu'en 1981 avec celle de Ronald Reagan, les fortunes furent soumises à un impôt considérable qui réduisait d'autant leur impact inégalitaire. Les taux d'imposition réellement acquittés par les groupes les plus fortunés atteignirent alors des sommets, les impôts payés par les plus riches oscillant autour de 50 à 80 % de leurs revenus avant impôts. De même pour l'impôt sur les successions dont les taux atteignirent alors 80 % pour les très grosses fortunes. Or, contrairement aux idées développées par le système libéral, cette pression fiscale ne s'est pas traduite par une croissance plus faible de l'activité puisque d'une moyenne de 2,2 % par an et par habitant pour la période 1930-1980, elle tombe à 1,1 % pendant les trente années qui suivent. En outre, cette politique fiscale eut un impact dissuasif majeur sur la fixation de rémunérations "stratosphériques" des dirigeants des grandes entreprises.
En revanche, la politique suivie par les Républicains à partir des années 80, destinée à booster l'économie et à améliorer la redistribution par une forte diminution de la fiscalité a abouti à un appauvrissement de la majorité des ménages tout en accentuant la montée des inégalités. La part du revenu total allant aux 50 % les plus faibles est ainsi passée de 20 % dans les années 70 à 12 % dans les années 2010 alors qu'au cours de la même période, la part des 1 % des revenus les plus élevés est passée de 11 % du revenu total à 21 % (cf. graphique). En outre, le salaire minimum en 2010 s'est retrouvé inférieur à celui de 1970, toute chose égale par ailleurs.
S'appuyant sur des données historiques et peu discutables collectées sur tous les continents, Thomas Piketty propose des mesures remettant en cause les politiques fiscales et de redistribution souvent aberrantes conduites actuellement. Il en va ainsi de la propriété financière et sociale de ceux qui possèdent des actions de société. Elles constituent une part essentielle de la fortune des milliardaires. Pour la faire évoluer, il est possible de modifier le système de partage des droits de vote. C'est non seulement le cas en Allemagne où depuis le début des années 50 les représentants des salariés disposent de la moitié des voix dans les conseils d'administration, mais aussi en Suède où un tiers des voix leur est accordé. Il en résulte la création d'un modèle social et économique, à la fois "plus productif et moins inégalitaire que tous les autres modèles expérimentés jusqu'ici". Rien, en effet, "ne justifie de concentrer indéfiniment le pouvoir entre les mains d'une seule personne et de se priver des bénéfices de la délibération collective". Une autre suggestion porte sur la modification de la fiscalité et l'application d'un barème avec des taux progressifs dépendant du montant total des propriétés individuelles (c'est-à-dire la valeur totale des actifs de toute nature détenus par une personne donnée, nette de dettes). En suivant la voie ouverte par les "États-Unis avant l'arrivée de Reagan, l'imposition pourrait se renforcer progressivement de 5 % pour les revenus modestes à 90 % pour les plus fortunés.
Ainsi, pour une meilleure répartition des richesses, il existe un choix entre rester dans le conservatisme actuel des "Picsou" ou favoriser à la fois la justice sociale et le dynamisme économique en s'inspirant des mesures proposées par Thomas Piketty. Mais comme le monde financier qui domine souvent le monde politique ne semble pas pressé de modifier les règles actuelles, il faudra peut-être une nouvelle crise financière aussi dévastatrice que celle de 1929 pour retrouver un monde plus égalitaire, à moins que la sagesse populaire ne finisse par élire des dirigeants ayant une véritable fibre sociale.
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