Transmission de patrimoine : il n'est jamais trop tôt pour y penser
Il faut penser à transmettre son patrimoine dès lors que l'on en possède un, et ce, le plus tôt possible. À défaut, la transmission pourrait être subie ou limitée, voire impossible si les facultés intellectuelles de la personne sont altérées. Une transmission non préparée peut entraîner des lenteurs, voire des blocages en raison de la mésentente entre les héritiers. Elle peut aussi être obérée par la fiscalité conduisant, par exemple, les héritiers à être contraints de vendre le seul immeuble dépendant de la succession, ou à devoir liquider l'entreprise familiale. Me Kermarrec, notaire à Rennes, nous donne ses conseils pour éviter ces écueils et trouver des solutions en adéquation avec les volontés du donateur, au meilleur coût fiscal.
Quelles solutions peut-on envisager idéalement ?
Selon la nature des biens et les personnes à gratifier, plusieurs possibilités existent pour transmettre tout ou partie de son patrimoine :
- la donation entre vifs permet une transmission au meilleur coût fiscal par le jeu des abattements et l'insertion de charges et conditions à respecter par le donataire ;
- le don manuel se fait par la simple remise de l'objet donné. Il peut être envisagé pour des sommes d'argent (espèces, chèque, signature d'un ordre de virement). D'un point de vue fiscal (sous conditions), il est possible de consentir des dons de sommes d'argent en pleine propriété à un enfant, un petit-enfant ou, à défaut d'une telle descendance, un neveu et nièce, ou petit-neveu/nièce, jusqu'à 31 865 €, tous les 15 ans, en exonération d'impôt. Cet abattement se cumule avec l'abattement général dont peut bénéficier le donataire par ailleurs ;
- la clause de "réversion d'usufruit" se rencontre, en général, lorsqu'un époux a donné la nue-propriété d'un bien à ses enfants. Il peut décider de s'en réserver l'usufruit sa vie durant et prévoir que cet usufruit sera, à son décès, réversible au profit de son conjoint survivant ;
- la donation à titre de partage anticipé permet à un ou plusieurs ascendants de faire la donation de leurs biens à leurs héritiers présomptifs sous leur autorité et leur médiation. Cet acte permet d'adjoindre à une donation un partage pour éviter des indivisions et de possibles blocages entre les héritiers ;
- l'assurance vie en cas de décès peut être une solution à étudier lorsqu'une personne dispose de beaucoup de liquidités. Il est important d'attacher un soin tout particulier à la rédaction de la clause bénéficiaire du contrat afin d'éviter que les sommes en jeu fassent partie de la succession du souscripteur, et soient, par conséquent, imposables aux droits de mutation par décès ;
- la constitution d'une SCI entre les parents et leurs enfants. Une rédaction adaptée des statuts permettra aux parents de conserver le contrôle de la société tout en transmettant progressivement la nue-propriété des parts sociales à leurs enfants ;
- d'autres régimes fiscaux permettent des exonérations partielles des droits de mutation à titre gratuit fondées sur la nature des biens. Par exemple, la donation de bois et forêts et celle de biens loués par bail rural à long terme qui est exonérée à concurrence des 3/4 de leur valeur. Une exonération similaire existe pour les transmissions de certaines entreprises familiales, exercées sous la forme individuelle ou sous la forme sociétaire ( "Pacte Dutreil").
Quelles précautions faut-il prendre si l'on est usufruitier ?
Le Code civil définit l'usufruit comme "le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété comme le propriétaire lui-même, mais à charge d'en conserver la substance". L'usufruit peut porter sur des biens meubles ou immeubles. Il sera utile de prévoir précisément les conditions d'exercice de cet usufruit afin de déterminer les droits et obligations de l'usufruitier (donateur) et du nu-propriétaire (donataire). À défaut d'indications, les dispositions du Code civil seront applicables. Les droits de l'usufruitier sont étendus puisqu'il peut à la fois utiliser le bien pour son usage personnel, en toucher les fruits qu'ils soient naturels (récoltes) ou civils (loyers, intérêts de sommes d'argent …). Pour les biens immobiliers, cette possibilité est limitée aux baux dont la durée est inférieure à 9 ans.
L'usufruitier doit prendre le bien dans l'état et faire dresser, lors de son entrée en jouissance, un inventaire des meubles ou un état des lieux si l'usufruit porte sur un immeuble. L'usufruitier doit aussi veiller à la conservation du bien, autrement dit, l'entretenir pour le rendre dans le même état à l'extinction de son droit. Enfin, "l'usufruitier sera tenu, pendant sa jouissance, de toutes les charges annuelles de l'héritage […] qui, dans l'usage, sont censées charges des fruits" (sauf convention contraire). En pratique, pour un bien immobilier, il paiera l'assurance, la taxe foncière et les charges courantes de copropriété. Le nu-propriétaire, de son côté, dispose de plusieurs garanties pour protéger ses droits (inventaire des meubles et état des immeubles, possibilité de demander à l'usufruitier de fournir un cautionnement…). En pratique, si l'entente est bonne entre les parties, il est fréquent que le nu-propriétaire dispense l'usufruitier de fournir tout ou partie de ses garanties.
Enfin, il convient d'attacher une importance à l'évaluation du bien sur lequel l'usufruit s'exerce car, lors d'un partage, il servira de base pour chiffrer la somme revenant à l'usufruitier.
Que conseillez-vous pour associer les descendants à ce projet ?
La donation à titre de partage anticipé est l'acte qu'il faut privilégier. Elle permet à la fois de transmettre ses biens aux gratifiés sous la médiation et l'autorité de l'ascendant et de les partager entre eux. Si deux parents font une donation-partage conjointement, elle est dite "conjonctive". Cela permet de transmettre tout ou partie de ses biens aux enfants communs. De même, un parent veuf peut avoir intérêt à transmettre ses biens et ceux dont il a hérité au décès du premier parent, en réalisant le partage de ceux-ci ainsi que ceux que les enfants ont reçus sous la forme d'une donation-partage dite "cumulative". Depuis 2007, il est même possible d'y associer l'enfant non commun qui pourra recevoir des biens (propres ou communs) de son auteur sans que l'autre parent ne soit considéré comme codonateur des biens communs. La donation-partage permet de figer les valeurs des biens transmis puisqu'ils seront évalués au jour de l'acte (sauf décision contraire des parties), et non au jour de l'ouverture de la succession. Toutefois, cette dérogation au droit commun n'est possible qu'à condition que tous les enfants (vivants ou représentés au décès de l'ascendant) aient reçu un lot (pas nécessairement égalitaire) et l'aient expressément accepté et qu'il n'ait pas été prévu de réserve d'usufruit portant sur une somme d'argent. Par ailleurs, les biens attribués par donation-partage ne sont pas rapportables à la succession du donateur, l'opération préalable de rapport ne servant qu'à constituer la masse partageable. En outre, l'action en complément de part pour cause de lésion n'est pas permise. Il est aussi possible d'y incorporer des donations faites antérieurement aux gratifiés. Ce dispositif est très souple puisqu'il est possible de changer le bénéficiaire de la donation faite précédemment, et/ou de modifier le secteur d'imputation de la donation (réserve héréditaire ou quotité disponible) suivant que la donation soit faite en avancement de part successorale ou hors part successorale. Ce dispositif peut même être envisagé en l'absence de nouvelles donations de l'ascendant.
En outre, depuis 2007, la loi permet aux parents d'y associer les petits-enfants (et même les arrière-petits-enfants) pour réaliser un "saut de génération" sous la forme d'une donation-partage transgénérationnelle. Il est possible d'allotir des petits-enfants dans certaines souches et non dans d'autres. Cet acte peut être envisagé même si l'ascendant donateur n'a qu'un seul enfant afin de procéder à un partage entre celui-ci et ses propres enfants, voire seulement entre ces derniers. Il faudra, bien entendu, que l'enfant accepte de "passer son tour". Sur le plan civil, cette donation-partage transgénérationnelle permet d'éviter une double transmission (succession puis donation) et une double taxation.
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