Foncièrement heureux

Les sociétés foncières ont longtemps fait l'objet d'attentions spéciales des autorités afin qu'elles participent activement à la reconstruction. En dépit d'un marché immobilier qui peine à procurer un logement pour tous, elles demeurent un placement faisant le bonheur de leurs actionnaires.
Traditionnellement, les sociétés faisant appel public à l'épargne, qui ont pour activé principale de se constituer un parc immobilier et de le gérer, sont désignées par l'expression sociétés foncières. Les premières ont été créées par le baron Haussmann au XIXe siècle pour la rénovation et le développement de Paris. Ce sont des sociétés commerciales de capitaux de type classique qui acquièrent des immeubles, les donnent en location et en répartissent les revenus entre leurs associés. Les actions de ces sociétés peuvent faire l'objet d'une cotation permanente à la Bourse de Paris, ce qui les différencie des SCPI dont les parts sont difficilement négociables. Au début des années soixante, afin de permettre une accélération de la reconstruction en faisant appel aux capitaux privés, les pouvoirs publics ont instauré deux types de sociétés aux statuts dérogatoires sur le plan fiscal, les Sociétés d'Investissements Immobiliers ou SII pour les logements et les Sociétés Immobilières pour le Commerce et l'Industrie ou SICOMI pour les bâtiments à caractère commercial ou industriel.
Ces sociétés ont été exonérées de l'Impôt sur les Sociétés en contrepartie de l'obligation de distribuer 85 % de leur résultat. Ces statuts conféraient aux sociétés la transparence fiscale. Au lieu d'avoir deux ponctions par l'administration fiscale au travers de l'impôt sur les sociétés (IS) puis de l'impôt sur le revenu (IR), les bénéfices n'étaient imposés qu'une seule fois sur les dividendes. Un autre avantage incitatif, disparu en 1975, était l'exonération des droits de mutation lors de la première transmission de ces titres. D'autres comme l'exonération de taxe foncière ou la garantie de non blocage des loyers ont connu le même sort à la fin des années soixante dix. Fin 1986, la capitalisation boursière des seules SII spécialisées dans le logement atteignait 35 milliards de francs (5 Mds €). Par suite de fusions successives, le nombre de ces sociétés s'est beaucoup réduit. La disparition de ce régime de faveur, annoncée brutalement dans la loi de Finances de 1991, au moment précis où de nombreuses entités du secteur étaient fortement touchées par la crise (1990-1993), a profondément ébranlé la profession. Ajoutée aux difficultés de plusieurs acteurs, elle a entraîné une forte désaffection pour ce type de placement.
Dix ans plus tard, en 2003, le sénateur Philippe Marini a remis au goût du jour ce statut en créant les sociétés d'investissement immobilier cotées (SIIC) spécialisées dans l'acquisition ou la construction d'immeubles en vue de leur location. Il exonère les foncières du paiement de l'impôt sur les sociétés et de l'impôt sur la plus-value réalisée lors de la vente d'immeubles. Mais pour bénéficier de ces avantages, ces sociétés doivent être cotées en Bourse, ne pas être détenues à plus de 60 % par un même associé, distribuer chaque année à ses actionnaires l'essentiel de son résultat (95 % des loyers et 70 % des plus-values réalisées depuis le 1/01/2019). Cela devait permettre aux Français d'investir dans l'immobilier en vue de leur retraite car ils étaient quasiment exonérés d'impôt lorsqu'ils logeaient leurs actions dans des plans d'épargne action (PEA). Cela jusqu'en 2012 où cette option a été supprimée, tout comme l'abattement de 40 % sur les dividendes distribués.
À l'origine, la capitalisation des SIIC, au nombre d'une dizaine, était d'un peu plus de 11 Mds €. Quinze années plus tard, ce nombre a triplé et leur capitalisation a été multipliée par six. L'engouement pour ces sociétés n'est plus lié à des dispositions fiscales avantageuses mais à leur liberté d'investir dans tout type de construction et de profiter d'un endettement peu coûteux pour procurer une rentabilité nettement supérieure à la majorité des placements actuels (cf. tableau). Car, en dépit de quelques avantages fiscaux faits aux particuliers pour orienter les investissements vers la construction de logements, le développement des sociétés foncières sur ces vingt dernières années a surtout profité à l'extension des grandes surfaces, à la construction des tours de bureaux tels ceux de la Défense et au développement des entrepôts nécessité par l'e-commerce. Mais le recours à l'emprunt pour financer l'accroissement de leur parc immobilier s'est traduit par une plus forte volatilité de leurs titres. Cependant, même si elles ont perdu tout attrait pour la détention d'immeubles résidentiels et si l'on s'en tient aux vingt dernières années, les actionnaires de ces sociétés ne peuvent être que très heureux de leur choix, les sociétés KLÉPIERRE, UNIBAIL et GECINA figurant parmi les plus importantes voire les plus anciennes. Dommage qu'une grande partie de ces actionnaires soient des investisseurs institutionnels ou des fonds de pension étrangers, seuls 3 % étant des particuliers.
1- Comptablement, la part de l'impôt déjà payée par la société fait l'objet d'un crédit d'impôt qui s'ajoute aux revenus de l'actionnaire.
Bordeaux, le 29 novembre 2019
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